La sansouire: richesse botanique de l’étang de l’ort

par Josiane Ubaud

Comme toutes les zones humides des étangs côtiers languedociens, les Cabanes de Mauguio constituent un biotope unique par sa végétation particulière de plantes adaptées au sel, que l’on appelle la sansouire, et la faune s’y rattachant. Bien que paraissant déshérité aux yeux des profanes, ce milieu est au contraire d’une richesse botanique extraordinaire et attire bien des promeneurs et des passionnés de botanique.

Il est depuis toujours sous emprise humaine, comme en témoignent les innombrables quadrillages par des levades et levadons (chaussées empierrées), les haies de tamarisses qui tiennent les roubines, les canalettes qui permettent de s’enfoncer de l’étang dans les terres, le tout déterminant des pâturages à chevaux et taureaux et des espaces à cabanes de pêcheurs. Il avait également un rôle économique indéniable (en dehors des activités de pêche et de chasse).

La fameuse saladelle ( saladèla en oc, Limonium vulgare ), plante emblématique de nos régions, y teinte de bleu des prairies entières et servait de décor lors des fêtes votives des villages voisins. Cette plante continue d’avoir le même pouvoir d’attraction, et la promenade familiale pour aller cueillir la saladelle est un acte familial et social incontournable. Tout comme la cueillette des narcisses tazette ( Narcissus tazetta ), symbole du printemps. Tandis que les vues anciennes de Mauguio montrent encore des prairies de narcisse des poètes ( Narcissus poeticus ) désormais disparus. Si la pâquerette annuelle ( margarideta en oc, Bellis annua ) couvre très tôt les prairies salées de ses milliers de fleurs, c’est la nivéole précoce ( Leucoium aestivum ) qui enchante les bords des roubines en avril, puis l’iris jaune ( cotèla en oc, Iris pseudoacorus ), la guimauve à fleurs roses ( guimauga en oc, Althea officinalis ) et à l’automne le plus discret aster de Tripoli ( Aster tripolium ) à fleurs bleues.

On y cueillait, et on y cueille toujours, de nombreuses herbes et salades sauvages comestibles : en tout premier le bette maritime ( bleda en oc, Beta maritima ), le plantain corne de cerfs (la bana de cèrvis en oc, Plantago coronopus ), la saint-joseph ( santjosèp ou penche en oc, Lactuca scarolia ), le pétarel ( petarèl en oc, Silene vulgaris ), et les fossés moins salés fournissent doucette ( doceta en oc, Valerianella sp ) et épilobe ( doceta de valat en oc, Epilobium parviflorum )

 

Si les tamarisses ( tamarissa en oc, Tamarix sp ) et l’olivier de Bohème ( sause muscat en oc, Eleagnus angustifolia ) sont les plus connus des arbustes, bien d’autres plantes méritent l’attention. La blanquette ( blanqueta en oc, Atriplex halimus ), l’arbuste répandu aux feuilles grises et gorgées de sel, outre son adaptation au sols salés et donc son interêt pour tenir les terres, sert de nourriture aux canards (sauvages ou domestiques) qui en sont friands. Sa voisine en couleur, l’obione ( Obione portulacoides ) tapisse la sansouire d’un matelas gris, surmonté des tiges grasses de l’inule ( Inula crithmoides ) qui se couvre de fleurs jaunes.

Toutes les plantes de la sansouire sont en effet à feuilles grasses : c’est une forme d’adaptation aux conditions climatiques difficiles (présence d’eau une bonne partie de l’année, puis sècheresse extrême, et présence de sel, dans la terre et dans les embruns). On lit ces paysages humides en fonction de la présence de certaines plantes qui annoncent un taux de salinité : ainsi dès que la concentration en sel diminue, les salicornes, soudes et obiones disparaissent. On voit donc très bien aux Cabanes l’interpénétration floue de ces deux milieux humides, salé ou non. Quand la salinité diminue, on retrouve toutes les espèces de ripisylve (forêt-galerie des bords de rivières) et de haies vives : frêne, sureau, aubépine, saules, prunelliers, lierre,

En dehors de sa richesse botanique et esthétique et d’être un lieu de cueillettes familiales, la sansouire était aussi un lieu présentant un intérêt économique (en dehors de l’élevage des chevaux). Les joncs multiples étaient récoltés pour être introduits dans les vignes plantées dans le sable afin de retenir celui-ci lors des tempêtes, et étaient vendus aux villages vignerons de l’arrière-pays (le Crès, Vendargues, etc) comme litière pour les chevaux. Certaines variétés étaient par contre réservées au rempaillage des chaises. Toutes les salicornes ( salicòr ou engana en oc, Arthrocnemum, Salicornia sp ), qui se teintent de rouge à l’automne, mais aussi les soudes ( soda en oc, Sueda sp ) étaient brûlées dans des fosses à même le sol : leurs cendres étaient ensuite vendues aux verriers de l’arrière-pays si nombreux en garrigues languedociennes jusqu’au 18 ème siècle. Toutes ces plantes, et bien d’autres dont on ne peut l’inventaire exhaustif, sont spécifiques des zones salées, et c’est donc leur teneur en soude qui les rendaient utiles aux verriers. Les massettes d’eau ( bòsa ou bòla ne oc, Typha sp ) servaient également de litière et leurs feuilles tressées servaient à faire des paniers que l’on retrouve maintenant chez les brocanteurs, ou des rempaillages de chaises grossiers. Les panicules des roseaux ( sanha ou raulet en oc, Arundo phrgamites ) servaient à faire de petits balais, qui sont toujours proposés à la vente sur les marchés aux puces de la région. Tandis que leurs tiges servaient bien sûr de protection aux toits des cabanes primitives ou de haies de séparation.

 

Mais il est encore une plante qui mérite une attention toute particulière : c’est la garance tinctoriale ( garança en oc, Rubia tinctoria ), que l’on retrouve partout tout le long du Salaison, jusqu’aux cabanes des pêcheurs où elle est étroitement mêlée aux touffes de roseaux et de cannes. Plante réintroduite au 18 ème siècle par un agronome arménien qui l’expérimente en Vaucluse, elle sera ensuite cultivée dans toutes les zones marécageuses des étangs côtiers languedociens. Si sa culture a été abandonnée au tout début du 20 ème siècle, la plante a continué cependant de mener sa vie et a envahi fossés et champs, à Mauguio et ailleurs. Elle fait partie intégrante de l’histoire de Mauguio (qui ne traitait pas ses racines sur place mais les envoyait en Vaucluse, où l’on traitait toute la garance de France) et désormais de ces paysages. Certains vieux Melgoriens se rappellent avoir eu des grands-parents garanciers.

Aux Cabanes, la sansouire salée et les zones d’eaux de moins en moins salées au fur et à mesure que l’on s’éloigne de l’étang sont donc porteuses de richesses multiples et uniques: botaniques, faunistiques, culturelles, économiques, historiques. Lieux de culture et de cueillettes, lieux de travail et de détente, lieux d’échanges permanents avec l’arrière pays. Mais aussi lieu de beautés que les étrangers n’hésitent pas à qualifier de « magiques », où la limite floue entre terres et eaux est peut-être un de ses premiers atouts esthétiques. Ces beautés ont été magistralement décrites par deux grands écrivains languedociens: en occitan au 19 ème siècle, Alexandre Langlade (natif de Lansargues) dans son somptueux poème L’Estanc de l’Ort, et en français au 20 ème siècle par Gaston Baissette, dans son non moins poétique L’Etang de l’Or.

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